Erg 2.0
Rentrée 2008 à l’Erg : le point sur les blogs…
«Autant de gouttes de citrons sur les bords rétractiles de la nouvelle frontière».
Tentant en vain de dresser une carte de l’Internet, voilà comment le narrateur du très singulier roman Carte muette de Philippe Vasset décrit la production des usagers du web : emails, sites, blogs, échanges en réseau, groupes de discussion, forums. Par les clics, les connexions/déconnexions des machines entre elles, par les contenus publiés et reliés par hyperliens, par les robots ou les flux qui le parcourent et l’irriguent, l’Internet est une véritable dimension parallèle recomposée en permanence par le comportement de ses usagers (humains, machines ou programmes).
Ces usages de l’information caractérisent ce que l’on appelle aujourd’hui le web 2.0 : un web des réseaux sociaux, basé sur un ensemble d’interfaces intelligentes, favorisant l’accessibilité et l’interaction entre internautes ou entre logiciels, par la syndication des contenus ou encore l’étiquetage des données par tags ou mots clés. Cette tendance est notamment incarnée par le phénomène des blogs, outils bien présents aujourd’hui à l’Erg, ou les communautés en ligne (Flickr, MySpace, Facebook, YouTube, et autres LastFM) très prisées par les étudiant(e)s et par certains professeurs.
Systèmes de gestion de contenus.
Cette évolution majeure des technologies de communication en réseaux trouve son origine dans l’utilisation d’outils de publication tels que les systèmes de gestion de contenu (ou CMS, Content Management System). Installés directement sur un serveur, ce type de logiciel gère entièrement la réalisation technique d’un site dynamique sous la direction de son administrateur équipé d’un navigateur standard.
Par l’intermédiaire d’un formulaire augmenté de quelques fonctions familières de traitement de texte, un internaute peut rédiger facilement un article enrichi d’hyperliens, d’images fixes, de vidéos ou de sons. Le CMS prend alors automatiquement en charge la mise en forme et la publication de l’article, ainsi que d’autres tâches ou fonctions : l’archivage (calendriers, chronologie), l’accessibilité (respect des standards du web, référencement, moteur de recherche), l’autorisation et la gestion des commentaires des lecteurs, des sondages express, la gestion d’articles écrits à plusieurs mains, etc.
Kiss my blog.
En gagnant en rapidité (accès haut-débit) puis en mobilité (réseau wifi et ordinateurs portables), l’amélioration générale des conditions de connexions a largement contribué à populariser des solutions de publication en ligne relativement simples d’usage, dont les blogs (personnels ou à plusieurs mains) ou les wikis (à vocation nettement plus communautaires puisque modifiables par tout internaute). Muni d’un navigateur, l’internaute peut désormais activer en quelques clics un moteur de publication prêt à l’emploi, par exemple sur Blogger ou Flickr. Les plus sportifs opteront pour l’installation et la configuration d’un blog totalement personnalisable, dont ils choisiront l’hébergement, l’apparence, les fonctions, etc. WordPress, un logiciel libre et gratuit, est un bon exemple de ce type d’outil, ergonomique et bien conçu.
Blogosphère.
D’abord souligné pour sa vocation autobiographique (journal intime, carnet de bord) en raison de la chronologie des billets postés, le blog possède encore pour certains une connotation douteuse, stigmatisant le blogger comme un exhibitionniste, étalant inutilement et sans pudeur ses moindres états d’âmes en public. Au-delà de ce raccourci discutable, il est toujours utile de rappeler l’idée visionnaire de Marshall McLuhan : the medium is the message. Par sa forme, sa fonction et son support, le blog a certes pu engendrer un type d’expression spécifique (on peut en dire autant des SMS), entre texte, hyper-texte, flux RSS et incrustations multimédias. En tant qu’outil, un blog reste cependant un récipient en attente de contenu. Il est un média nouveau, supplémentaire, recyclant également les modes d’expression qui le précède. Ainsi, outre les blogs d’opinions, les billets d’humeur et les prises de parole intempestives (ou salutaires), on a vu se « bloguiser » les albums-photos, les magazines, les pamphlets, les soirées-dias en famille, les films de vacances, les tracts publicitaires, les chansons, les chaînes télés, etc. Le blog est aujourd’hui devenu un média très prisé dans des contextes associatifs, institutionnels ou professionnels, aussi différents que l’activisme, le marketing, la recherche d’emploi, l’éducation, l’art, la politique…
La blogosphère se caractérise finalement par une grande diversité d’expression, certains blogs devenant d’authentiques forums de discussion alimentés par des piles de commentaires. L’authenticité de la planète blog se retrouve donc bel et bien du côté des internautes motivés par le partage de point de vues et la confidence. Signes des temps : la plupart des grands journaux en ligne offrent aujourd’hui à leurs lecteurs la possibilité de réagir aux articles publiés, augmentant quotidiennement leurs contenus de centaines d’opinions contrastées. Précisons cependant que cette approche a finalement pour objectif de valoriser le traffic sur ces sites auprès de leurs annonceurs.
Erg.be
Lors de la conception du site de l’Erg en 2004, le choix d’une technologie s’est assez naturellement orienté vers le logiciel libre et gratuit SPIP (Système de Publication pour l’Internet Partagé), un CMS d’origine française utilisé avec succès par de nombreux sites associatifs ou institutionnels. Inspiré de la structure rédactionnelle d’un magazine, SPIP permet aujourd’hui à chaque professeur de l’Erg de publier des informations sur les valves électroniques du site, ou de créer des galeries de photos ou de vidéos. Le site de l’Erg est donc assimilable à un blog, dont la vocation collaborative convient parfaitement à l’esprit de l’école. Il a été mis en place (et récemment refondu) sous la houlette très avisée de Stéphane Noël, professeur d’arts numériques à l’Erg, et (entre autres choses) formateur CMS aux « Ateliers numériques » estivaux de iMAL, organisés par Yves Bernard (également professeur d’arts numériques à l’Erg).
Blogs pédagogiques.
Adossés au site de l’Erg, plusieurs blogs ont progressivement vu le jour, animés avec énergie par des professeurs souhaitant doter leur cours d’un outil d’information réactif. Pour n’en citer que quelques-uns : le blog du cours de photo d’Alain de Borger, le blog Lettre ouverte de Michel Assenmaker, 2 ou 3 choses que je sais d’elle, le blog des cours de typographie de Renaud Huberlant en collaboration avec Thierry Chancogne, professeur à l’ESAAB (École Supérieure d’Arts Appliqués de Bourgogne) à Nevers (F), ou encore les blogs des professeurs d’arts numériques (Stéphane Noël, Yves Bernard et Marc Wathieu). De conceptions différentes, ces blogs contribuent à explorer de nouveaux espaces pédagogiques et éducatifs, ainsi qu’une temporalité nouvelle, propre aux ressources en ligne.
Si la nature des contenus diffusés se montre en majorité prévisible (documentation, informations pratiques et réflexions sur les travaux en cours, comptes-rendus d’expositions, actualités…), le ton adopté pour les présenter l’est beaucoup moins. Du haïku énigmatique à la prise de position musclée, du compte-rendu documenté à la recommandation didactique, la fonction de ces blogs est d’offrir aux étudiant(e)s une source complémentaire et originale à l’activité en atelier. Au delà de tout bilan prématuré, force est de constater que le blog d’un cours devient rapidement une référence et un outil de communication profitable à tous.
De l’avis des professeurs concernés, l’exploitation de ces blogs par les étudiant(e)s semble pourtant encore loin d’être optimale, mais des solutions semblent désormais en bonne voie avec la mise en place d’un réseau WiFi plus efficace.
Les applications web 2.0 disponibles en ligne augmentent en qualité et en nombre. Plusieurs types de logiciels auparavant installés sur nos ordinateurs personnels sont en passe d’être entièrement fonctionnels sur le réseau. Ainsi, j’ai pu constater qu’un accès fiable au web modifie en profondeur les pratiques pédagogiques : l’entièreté des cours est en ligne, et des photo-blogs permettent de créer à la volée des diaporamas instantanés.
Supports de communication.
Les évènements organisés à l’Erg bénéficient depuis un bon moment de ressources en ligne sous forme de sites statiques (par exemple, le site du workshop Comment être synthétque sans être réducteur ?. La réalisation de ce type de publications a cependant gagné en souplesse grâce aux moteurs de blogs. Citons celui du workshop Enfermement en 2006, du récent workshop Perturbations ou encore la page de la journée Open-Course/Open-Source organisée à l’Erg en avril dernier. Dans le cadre d’échanges ou de collaborations entre écoles, citons Paysage à distance entre l’Erg et l’École des Beaux-Arts de Angers, ou la page du workshop Sliders réunissant des étudiants de l’Erg, de l’EESI (École Européenne Supérieure de l’Image, Angoulême), et de l’IAD (Institut des Arts de Diffusion, Louvain-La-Neuve).
Les blogs de professeurs sont eux-mêmes les lieux de diffusion d’informations et de comptes-rendus concernant des évènements plus ponctuels, bénéficiant souvent de photos ou de vidéos. Ils constituent un archivage précieux, utile dans de nombreuses situations internes ou externes à l’école.
Le blog comme outil d’apprentissage.
Dans le cadre spécifique des cours d’arts numériques, chaque étudiant(e) dispose de son propre blog dont l’installation, la configuration et la personnalisation font l’objet d’un apprentissage basé sur des technologies et des logiciels libres (Firefox, WordPress, SPIP, FTP, Javascript, HTML, CSS, PHP). Ici, l’objectif pédagogique poursuivi est double : l’acquisition d’un savoir-faire et d’une expérience technique, ainsi que la mise en place d’une méthode de travail (collecte de documentation, recherches, chantiers divers). À la manière d’un carnet, le blog témoigne de la curiosité de l’étudiant(e) et de l’avancement de ses travaux, dont il documente l’évolution et les enjeux.
À ce titre, le blog de Lionel Maes, fraîchement sorti en finalité «arts numériques», est un exemple particulièrement frappant. Il s’agit là d’un travail remarquable de documentation et de reportage (conception, rédaction, photographies, vidéos) consignant les différentes étapes de ses recherches sur la visualisation de données complexes, dans le cadre de son mémoire de fin d’étude sur les flux d’informations des agences de presse. FLUX, l’installation interactive qui en résulte, présentée par Lionel lors de son jury, évolue actuellement vers une nouvelle version co-produite par iMAL.
Robots en ligne.
La publication de commentaires par formulaires automatisés, autorisée (ou non) par le blogueur, expose le moteur de blog à des intrusions surprenantes. Ainsi, afin d’augmenter la popularité de certains sites auprès de moteurs de recherches tels que Google, des robots programmés pour semer des liens guettent les formulaires disponibles pour y déverser leur spam. Google lui-même possède une série de programmes fouineurs, les Googlebots, qui parcourent la toile afin de répertorier les informations nécessaires à son énorme machinerie de recherche. Grâce aux fils RSS, un moteurs de blogs se synchronise aux sources choisies par son administrateur afin d’en récupérer le contenu.
Ces quelques exemples de relation entre robots en ligne a donné l’idée à Yannick Antoine, ex-étudiant à l’Erg en finalité « arts numériques », de concevoir des robots capables de rédiger leur propre blog thématique à partir de contenus picorés sur la toile. Ce projet, appelé Roboboblogs, exploite la possibilité offerte par les applications web 2.0 de partager certains types de données, accessibles via leur API (Application Programming Interface), une interface de programmation et de communication entre programmes permettant de solliciter des informations ou d’extraire des données d’applications tierces. Ainsi, grâce à différentes technologies (PHP, le moteur de blog LiveJournal, l’API du moteur de recherche de Microsoft, l’API Yahoo, l’API Flickr), Yannick a créé des blogs/robots capables de rédiger un journal en ligne. Le blog/robot, personnalisé par des mots-clés constituant en quelque sorte ses centres d’intérêts, se nourrit donc lui-même par des requêtes sur les moteurs de recherche Microsoft et Yahoo. Les résultats obtenus selon ces mots-clés constituent la matière première des articles, composés à partir des fragments de textes ainsi récupérés. Ces publications automatisées s’accompagnent d’images puisées sur Flickr, sur base de ces mêmes mots-clefs.
Non-human bloggers.
Cet autre projet de Yannick Antoine, présenté sous la forme d’un prototype réalisé avec le logiciel MAX/MSP, est un programme permettant de prélever des articles sur des blogs, ensuite sonorisés grâce à un programme de “text-to-speechâ€, puis incarnés humainement grâce à des images prélevées sur des séquences YouTube possédant le tag “vlog†(contraction de video-blog).
Non-Human Bloggers exprime donc le texte lu à la manière d’un ventriloque dont la marionnette serait une courte boucle d’images actionnée selon le rythme de la parole électronique.
Lectures.
Pour conclure, j’aimerais vivement recommander la lecture du livre « L’âge de l’accès – La révolution de la nouvelle économie » de Jeremy Rifkin (La Découverte, Paris, 2005) à ceux qui souhaitent en savoir davantage sur les réseaux et les nouveaux comportements qu’engendrent les applications dynamiques en ligne, dont nous découvrons aujourd’hui les prémices avec le web 2.0.
Pour d’autres ouvrages recommandés dans le cadre du cours d’arts numériques à l’Erg, voir ici.
Pour des documents téléchargeables, également utiles dans le cadre du cours, voir ici.
Marc Wathieu.
Une version courte de cet article sera publié
dans le numéro de septembre 2008 de la revue « Art & Architecture« .