Une brève histoire des chiptunes
Dans le contexte de l’exposition « Playlist : playing Games, Music, Art », la traduction d’un texte de Kevin Driscoll et Joshua Diaz par Marc Wathieu.
En prélude à l’exposition Playlist : playing Games, Music, Art à iMAL du 4 juin au 21 août 2010 – initialement produite par LABoral Centro de Arte y Creación Industrial (Espagne), je publie ici ma traduction du texte « Endless loop : a brief history of chiptunes » de Kevin Driscoll et Joshua Diaz, issu du catalogue original téléchargeable ici (document pdf).
À propos de l’exposition Playlist : playing Games, Music, Art.
PLAYLIST explore les relations entre jeux vidéo, musique et arts visuels. L’exposition propose des oeuvres d’artistes issus de la scène « chiptune » et des arts médiatiques qui se sont réapproprié vieux PC et anciennes consoles de jeu pour en extraire un nouveau contenu visuel et sonore. Détournant et réinventant vinyles, ordinateurs « vintage » et consoles de jeu, ils ont transformé ces « média morts » en puissants outils de création artistique.Vernissage : 3 Juin 2010, 18h30. Exposition ouverte du du 4 juin au 21 août 2010. Adresse : iMAL (Interactive Media Art Laboratory), 30 Quai des Charbonnages, 1080 Bruxelles. Infos : http://www.imal.org/playlist/
Une boucle sans fin : une brève histoire des chiptunes.
Par Kevin Driscoll et Joshua Diaz.
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Le chiptune désigne un ensemble de pratiques et de productions musicales partageant son histoire avec celle des bandes-son de jeux vidéos. L’évolution des premières musiques chiptune raconte à elle seule une histoire parallèle du matériel, des logiciels et de l’aspect social de la micro-informatique personnelle des années 80 et 90. En fouillant parmi les interviews, écrits épars et autres traces éphémères qui ont cheminé jusqu’au web, nous avons identifié les principales filières parmi les productions commerciales, non-commerciales ou ambiguës, en tentant de dépasser l’actuelle confusion entourant le terme chiptune. Bien qu’exploitant le potentiel et les contraintes d’un langage technique, nous espérons éviter ici tout point de vue technoïde sur ce domaine inventif et créatif mais cependant hautement technique qu’est le processus de création musicale sur du matériel dédié au jeux sur ordinateur.
1. Introduction
Brut, bruyant, menaçant, industriel, illégal, périmé, subversif, underground. Ces adjectifs agrémentent le bilan du travail entrepris par Malcolm McLaren avec des artistes chiptune publié en 2003 par le magazine Wired. Dans ce portrait de jeunes musiciens préférant les ordinateurs des années 80 aux dernières consoles audio-numériques, McLaren déclare que la chipmusic est à la fois « la prochaine étape dans l’évolution du rock and roll » et l’antidote à l’ « electronica moribond ». Une déclaration d’une telle exubérance a suffisamment éveillé les soupçons des protagonistes concernés au point de provoquer une lettre ouverte de Gareth Morris (2004), l’un des principaux membres de la communauté chiptune, interrogeant McLaren sur les « raisons » qui l’avaient poussé à brosser de la sorte un portrait si « inapproprié ». Malheureusement, malgré sa description d’un style « déjà bien développé » avec « 25 ans d’histoire de la chipmusic », la lettre de Morris ne contribue guère à clarifier l’image évoquée par McLaren d’une « salle de jeux d’arcade devenue dingue. »
Au sens strict du terme, un chiptune (de l’anglais chip, « puce informatique » et tune, « musique ») désigne une musique composée pour la puce audio des premiers ordinateurs personnels et des premières consoles de jeu. Les meilleures de ces puces offraient un synthétiseur polyphonique évolué aux compositeurs assez patients pour apprendre à les programmer. Par l’expérimentation des oscillateurs et des générateurs d’enveloppe contenus dans ces puces, les artistes chiptune des années 80 – la plupart composaient pour les jeux vidéos – développèrent une riche palette de sons, transposant des styles populaires tels que le heavy metal, la techno, le ragtime et (à défaut d’autre terme approprié) le style western. Nés de moyens techniques réduits, les envolées de flûtes synthétiques, les grondements de basses générées à partir de square waves (ondes carrées), le mouvement rapide des arpégiateurs et les percussions brutes obtenues par traitement de bruit blanc ont finalement défini un style caractéristique, exploité aujourd’hui par les compositeurs pop, non plus par nécessité mais bien par pur choix artistique.
L’étude des jeux nécessite la prise en compte d’une variété de traditions culturelles : le jeu comme images en mouvement (King and Krzywinska 2002), comme scène de performance théâtrale (Laurel 1991), ou comme littérature (Murray 1998). Cependant, le rôle de la musique, du son et du bruit dans les jeux vidéos reste relativement sous-estimé. En examinant les contraintes, l’esthétique, et les stratégies de composition liées aux chiptunes, nous mettons en évidence une transformation créative et un repositionnement de la technologie impliquant largement le domaine du jeu contemporain et de la culture digitale. Produire de la musique dans les contextes que nous documentons ici reflète une pratique dérivant du domaine du jeu, sans pour autant y être limité.
Comme le révèlent les échanges entre McLaren et Morris, le terme chiptunes ne concerne pas seulement les bandes-son ou les compositions pour les premiers ordinateurs personnels. Parfois confusément, ce terme s’applique plutôt à un large ensemble de communautés, de pratiques et de technologies. Nous retracerons ici chronologiquement l’évolution du chiptunes, tant du point de vue de sa définition que de son esthétique, à travers quatre moments historiques qui peuvent en préciser une définition contemporaine. Ce faisant, nous documentons un phénomène culturel restant à ce jour peu étudié de manière significative, et nous en clarifions la signification. Le développement du chiptunes recoupe les histoires combinées des ordinateurs personnels, des jeux vidéo, des échanges et communications en ligne (bulletin board systems – BBS), et de la musique électronique. Nous nous concentrons sur les évènements observables en Europe et aux Etats-Unis, à l’exclusion des développements simultanés dans les autres parties du globe. Un grand nombre de pistes restent cependant à suivre au sein de l’énorme production de puces audio. En particulier, Nous attendons avec impatience une étude traitant de l’impact de la musique sur ordinateur et du son des jeux vidéo sur la culture populaire au Japon.
2. Ordinateurs personnels
Avant l’apparition des micro-ordinateurs à la fin des années 70, les jeux d’arcade constituaient l’unique expérience possible de ce que pouvait être un ordinateur pour un public lambda, loin des des centres de données financières, des laboratoires universitaires ou des centres de recherches militaires. Accessible dans des lieux publics très fréquentés tels que des bars ou des parcs de roller-skate, l’utilisation de ce type de jeux était souvent accompagnée par le son proche de radios, de DJs ou de jukeboxes jouant les derniers tubes disco ou rock progressif. Au début des années 80, le jeu électronique a suivi les ordinateurs personnels dans la sphère privée des foyers. Autant le son produit par les cabines de jeux d’arcade a pu se mélanger avec les bruits environnants, autant les premiers jeux électroniques sur ordinateur ne contenaient la plupart du temps qu’un thème rudimentaire, quelques effets sonores, voire pas de son du tout. En outre, l’équipement sonore des ordinateurs personnels ne bénéficiait pas des capacités bien meilleures des cabines de jeux d’arcade. Le début des années 80 a toutefois vu le nombre de plateformes personnelles se diversifier, chaque nouveau design offrant des outils variés à une communauté croissante de compositeurs de musique sur ordinateur.
Le Apple II sorti en 1977 était équipé d’un seul baffle pouvant être sollicité pour jouer des phrases musicales simples ou de petits effets sonores (Weyhrich 2008). La musique de jeux électroniques était plutôt rare en raison des limites de possibilités de stockage de données audio, et dans certains cas, l’interprétation du son monopolisait à l’extrême le processeur (Central Processing Unit – CPU)*. La console de jeu Atari VCS, disponible la même année, était conçue pour être connectée à une télévision. Son adaptateur (Television Interface Adapter – TIA) contrôlait à la fois le signal des sorties vidéo et audio (Montfort 2009). Bien que ce TIA offrait la possibilité de produire deux voix simultanément, il était reconnu comme difficile à accorder (Slocum 2003). Plutôt que d’inclure des arrangements harmoniques à plusieurs voix à une machine aux capacités instables, des jeux tels que Missile Command de Atari exploitaient des thèmes rythmiques basés sur des crépitements sonores en guise de percussions (Fulop 1981). Les programmeurs chargés de convertir les thèmes connus de jeux d’arcade, de films ou de groupes pop étaient limités dans leurs adaptations. Journey Escape (1982), produit par Data Age, noté comme le « premier jeu vidéo rock », luttait contre les limitations tonales du TIA dans son interprétation grinçante du hit Don’t Stop Believing du groupe Journey, alors que le E.T.: The Extra-Terrestrial de Atari (1982) proposait une re-création plutôt fidèle du thème original.
* À cette époque révolue, la lecture d’échantillon numérique n’était pourtant pas une chose entièrement inconnue, comme le démontre l’exemple étonnant de l’introduction du jeu The Halley Project de Tom Snyder et Omar Khudari (Mindscape, 1985) sur ordinateur Apple II. La bande-son contient la lecture d’un message transmis par radio, plutôt low-fi et crépitant, mais surtout très conforme à la fiction et au contexte du jeu dans lequel le joueur incarne un pilote interstellaire.
Video 1. Game play from Atari’s Missile Command (1981).
Video 2. Theme from Journey Escape (Data Age, 1982).
Video 3. Theme from Atari’s E.T.: The Extra-Terrestrial (1982).
Malgré (ou peut-être à cause de) ce type de défi, certains développeurs purent tirer parti des limitations de ces premières plateformes de jeu sur ordinateur. Lors de la préparation du développement de Pressure Cooker pour Activision en 1983, Garry Kitchen pu déterminer un ensemble de tonalités correctement exécutables par le TIA de Atari. Il demanda ensuite à un musicien spécialisé dans la composition de jingles de composer un thème musical utilisant exclusivement ces tonalités disponibles*. Il réalisa ainsi un générique basé sur une harmonie à deux voix exploitant les deux canaux audio du TIA. De plus, Pressure Cooker défia les conventions audio de l’Atari VCS en incluant au jeu une bande-son permanente. L’une des voix du TIA répète une simple ligne de basse en deux mesures, laissant à l’autre voix la possibilité de produire des effets sonores en réponse aux évènements de jeu.
* Comme relaté lors d’une interview avec Nick Montfort à Cambridge (Massachusetts) le 13 novembre 2008.
Video 4. Title screen and game play from Activision’s Pressure Cooker (1983).
Pressure Cooker était une ambitieuse exception parmi ses contemporains. En 1980, la plupart des musiques sur ordinateur personnel restaient limitées à des mélodies à une voix et manquaient de nuances. Robert « Bob » Yannes, se décrivant lui-même comme un « hobbyiste de la musique électronique », considérait l’équipement sonore des micro-ordinateurs de la première génération comme « primitif » et suggéra qu’il avait été « conçu par des gens qui n’y connaissait rien en musique » (Yannes 1996). En 1981, il commença à concevoir une nouvelle puce audio pour MOS Technology appelée la SID (Sound Interface Device). En contraste avec le pauvre TIA de Atari, Yannes souhaitait doter la SID de capacités approchant celles d’un synthétiseur professionnel. Plus tard dans l’année, Commodore décida d’inclure la nouvelle SID de MOS Technology, associée à une puce graphique, dans son prochain micro-ordinateur : le Commodore 64. Contrairement à l’architecture de l’Atari, dans lequel un seul et même équipement contrôlait à la fois les sorties audio et vidéo, le Commodore offrait aux programmeurs une plus grande flexibilité dans leur implémentation des éléments graphiques et sonores (Figure 1).
Figure 1. Sound Interface Device (SID), MOS Technology, 1981. (Photo courtesy Chris Hand, 2008; http://flickr.com/photos/pixelfrenzy/2229900479)
Techniquement, la SID offrait au processeur requis une large palette sonore à faible coût, en incluant un synthétiseur ordinaire à l’équipement. La puce consistait en trois oscillateurs, chacun capable de produire quatre formes d’ondes différentes – triangulaire, en dent-de-scie, bruit et pulsation*. La sortie de chaque oscillateur passait ensuite à travers une enveloppe de volume pour créer des sons percussifs, des sons brefs, des voix ou des bourdonnements. Une variété d’effets programmables pouvait également être appliquée à ces sons pour créer, par exemple, des sons de cloches ou de clochettes par modulation du contour du son.
* L’illusion d’une plus grande polyphonie a été obtenue dans certains programmes particulièrement astucieux en alternant rapidement les instruments joués sur un seul canal.
Différents logiciels, périphériques et cartouches furent développés pour tirer profit des capacités de création musicale de la puce SID sur Commodore 64, mais même les meilleurs de ces produits* ne purent atteindre la flexibilité et la liberté de travail offertes par l’écriture de programmes sur cette puce en langage assembleur 6502 (Pickens and Clark 2001). Évidemment, malgré une conception de l’implémentation du son de synthèse de la SID familière aux musiciens électro de cette époque, programmer en langage assembleur et manipuler les potentiomètres d’un synthétiseur du commerce comme le Juno-6 de Roland (Figure 2) était une expérience radicalement différente (Friedman 2008). Les premiers compositeurs utilisant le Commodore 64 devait non seulement écrire la musique, mais aussi le logiciel qui rendait possible son interprétation.
* Pour des exemples concernant les « Commodore SFX series », voir le site de Bo Zimmerman : http://www.zimmers.net/cbmpics/xother4.html
Figure 2. Roland Juno-6 synthesizer.
Dans un article paru en 1993 dans le magazine C=Hacking, Anthony McSweeney levait un coin du voile sur les pratiques des premiers compositeurs de chiptune à travers une analyse des modules de programmations conçues pour la SID par Rob Hubbard. McSweeney avançait l’idée que le même module présent dans une grande partie de l’oeuvre de Hubbard était également réutilisé par d’autres compositeurs dans leurs propres projets (McSweeney 1993). Comme Hubbard a composé la musique de plus de 75 jeux pour Commodore 64 entre 1985 et 1989, le code cité dans l’article de McSweeney est assez représentatif du code vu par bon nombre de compositeurs pour la SID (MobyGames 2008). Pour comprendre l’obstacle que constituait la programmation des premiers programmes pour la SID, il suffit d’examiner un exemple d’un motif extrait de Monty on the Run de Hubbard (Gremlin Graphics, 1985) :
ptn34=*
byt $03,$4a,$03,$4a,$a3,$f8,$48,$03
byt $4a,$03,$4a,$03,$4a,$a3,$f8,$48
byt $03,$4a,$ff’
Cette séquence de bytes suit un ensemble de règles dans lequel chaque nombre hexadécimal correspond à une série de bits binaires indiquant les caractéristiques variables de la note à jouer (durée, instrument, hauteur, effet). Les définitions d’instruments utilisent un système similaire dans lequel les nombres hexadécimaux représentent les valeurs de durée de pulsation, de forme d’onde, d’enveloppe du son, de filtre, de vibrato et d’effet dont le réglage équivalent est accessible par l’intermédiaire de boutons ou d’interrupteurs sur un synthétiseur traditionnel.
Video 5. Game play from Gremlin Graphics’s Monty on the Run (1985); music composed by Rob Hubbard.
Travailler le code a influencé les stratégies de composition des premiers artistes chiptune. Hubbard décrit comment il préparait son ordinateur pour répéter une boucle de quatre mesures d’un morceau. Pendant que le passage tournait en boucle, il « utilisait un éditeur hexadécimal… changeant les données chiffrées » et écoutait le résultat (Hubbard 2002). Cette méthodologie de la répétition est une des caractéristiques spécifiques de la composition de bandes-son pour les jeux. Contrairement à la composition de musiques de film, les bandes-son de jeux sur ordinateur étaient composées à cette époque comme des boucles se répétant sans fin tout au long de séquences de jeu, elles-mêmes répétitives. Pour gérer l’interaction et la répétition de boucles sonores multiples au sein d’une même bande-son, une boucle principale dirigait l’ordre dans lequel des « micro-boucles » étaient agencées pour former des séquences de phrases musicales. (Collins 2006).
Les compositeurs de boucles sonores les plus doués superposaient, étiraient ou exécutaient leurs boucles au hasard pour créer une variété de séquences et de combinaisons. Pour Lazy Jones de Terminal Software (1984), David Whittaker créa 21 motifs liés mais distincts, chacun d’une durée approximative de 7 secondes. Pendant que les joueurs déplaçaient leur personnage à travers les différentes scènes de jeu, la musique d’ambiance variait subtilement en fonction de leur position (Collins 2006). La séquence et le nombre de répétitions dans lequel ces courtes boucles se combinaient était déterminé dynamiquement selon le comportement du joueur. Aucune partition définitive, aucun enregistrement définitif de la musique d’ambiance de Lazy Jones n’était possible. Comme la musique jouée par les fanfares dans les défilés, les compositions de Whittaker incluaient une collection de passages musicaux et un ensemble d’instructions qui contrôlaient leur sélection et leur répétition.
Video 6. Game play from Terminal Software’s Lazy Jones (1984); music composed by David Whittaker.
Au milieu des années 80, il était très difficile de distinguer chiptune et musique pour jeu sur ordinateur. Les bandes-son de jeux n’étaient elles-mêmes pas séparées du reste de la pop-music, même si les morceaux reflétaient les intérêts musicaux de leur compositeur. La plupart des compositeurs dont il est ici question étaient de jeunes gens européens et américains, et l’influence du heavy metal, de l’électro, de la pop new-wave et du rock progressif prévalaient tout au long des années 80. En assignant un timbre distinct à chacune de ses voix, la SID émulait l’instrumentation conventionnelle d’un groupe de rock classique : batterie, basse, guitare et voix (Collins 2006). Par exemple, le titre générique de 11 minutes composé par Martin Galway pour Times of Lore (Origin System, 1988) reflète l’influence de la guitare classique sur le heavy metal*. Comme la section d’ouverture de Fade to Black de Metallica en 1984, Times of Lore commence avec une progression d’accords en arpèges jouée sur une voix avec une « guitare solo » harmonisée et superposée à une autre voix.
* Malheureusement, peu de joueurs ont sans doute entendu l’entièreté de la composition de Galway pour Times of Lore, car elle n’est jouée que pendant l’écran titre du jeu (Bagnall, 2007).
Video 7. Theme from Origin System’s Times of Lore (1988); music composed by Martin Galway.
En 1985, la console Nintendo Entertainment System (NES) pénétra le marché nord-américain avec des capacités audio polyphoniques similaires à la SID. Les jeux Nintendo parvenaient à inclure plus de musiques d’ambiances que leur concurrent Commodore 64, en partie parce que les cartouches sur lesquelles étaient stockées les jeux pouvaient contenir beaucoup plus de données que les médias disponibles pour le Commodore 64 (Collins 2006). Cependant, la plus grande différence entre les deux plateformes étaient que le Commodore 64 était un ordinateur perçu comme bien équipé pour jouer, tandis que la NES était une console de jeu au sens strict. Le Commodore 64 était fourni avec des outils de programmation, un clavier AZERTY et une disquette réinscriptible qui rendait possible l’expérimentation. La NES, par contraste, fonctionnait davantage comme un lecteur vidéo et chargeait des jeux à partir de cartouches dont seule la lecture était possible.
La NES fut introduite en Europe en 1986 mais ne connut jamais le succès atteint aux États-Unis (Nintendo 2008). À la fin de la décennie, les joueurs européens semblaient préférer les ordinateurs programmables tels que le Atari ST, le Amiga et les machines compatibles avec les ordinateurs personnels IBM aux consoles de jeu fermées comme la NES, la Game Boy ou la SEGA Genesis. Ces préférences divisées entre les plateformes expliquent pourquoi, dans ses commentaires de 2002, le compositeur Rob Hubbard se rappellait « [avoir loupé] un bon nombre d’évolutions de la musique [chiptune] » en émigrant aux États-Unis en 1987 (Hubbard 2002).
3. Les trackers, les cracks et la Demoscene
En 1987, Karsten Obarski construisit un outil appelé The Ultimate Soundtracker pour son Amiga A500, afin de l’aider dans son travail de compositeur de musique pour Rainbow Arts, une société allemande de développement de jeux électroniques (Wright 1998). Parce qu’il était lassé de coder la musique sur ordinateur à la main, Obarski réalisa un outil représentant graphiquement les quatre canaux sonores disponibles sur la puce de l’Amiga, à la manière des rouleaux de musique sur papier perforé utilisés pour les pianos mécaniques, mais placés verticalement. La métaphore du « rouleau de musique » convenait bien à la structure en boucle ordinairement adoptée par la plupart des modules musicaux de la période SID. Plus particulièrement, Soundtracker proposa un environnement dans lequel les non-programmeurs purent accéder à des outils de composition sophistiqués sur leur ordinateur personnel, sans nécessité d’apprendre un langage de programmation.
Video 8. Karsten Obarski’s software The Ultimate Soundtracker (1987).
Les trackers (séquenceurs musicaux) pour l’Amiga de Commodore, l’Atari ST et le MS-DOS (MicroSoft Disk Operating System) possèdaient quelques caractéristiques en commun. Conceptuellement, ils héritèrent tous de la structure de motifs en boucle des programmeurs SID de la génération de Hubbard, mais la représentèrent sous la forme de rouleaux de musique à l’écran plutôt que de ligne de code en langage assembleur. Parce qu’ils interprétaient des échantillons sonores numériques, laissant de côté les équipements de synthèse du son, les trackers ne correspondaient plus à une définition stricte du chiptune. De plus, malgré la liberté d’échantillonner du son provenant de n’importe quelle source, beaucoup de compositeurs utilisant les trackers choisirent de continuer d’utiliser les ondes en triangle, les bruits percussifs et les basses de synthèse caractérisant la puce SID. Les développeurs de trackers implémentèrent également la même notation hexadécimale utilisée par les programmeurs de la SID pour indiquer des effets tels que le portamento, le vibrato et l’arpégiateur.
Avec l’arrivée des trackers, les obstacles à la composition de musique sur ordinateur disparurent, et les compositeurs de chiptune créèrent un nouvel espace pour partager leur travail. Dans les années 80, les jeux sur ordinateurs les plus commerciaux ajoutèrent des logiciels destinés à limiter les copies non-autorisées. À chaque sortie, des ingénieurs s’arrangeaient pour contourner ces nouvelles contraintes. À la fin de la décennie, la pratique du crackage des codes de protection de copie et la redistribution de logiciels du commerce avaient développé une ambiance globale de compétition, augmentée de rivalités de groupes, de règles de conduite et de réseaux complexes de communication. Les groupes de crackers utilisaient les serveurs pour échanger les logiciels, communiquer avec les utilisateurs et railler les autres (BBS 2004). Pressés d’accroître leur réputation, les bandes de crackers commencèrent à insérer des indices sur leur identité dans les logiciels qu’ils distribuaient. Initialement, ces informations n’étaient que des mentions discrètes sur les écrans-titres, mais le crackage devenant de plus en plus concurrentiel dans les années 80, ces signatures devinrent rapidement de véritables démonstrations multimédias contenant des animations sophistiquées, des déroulements interminables de textes et des musiques originales. Ces génériques de logiciels crackés offrirent aux amateurs de musique chiptune une nouvelle scène pour présenter leur travail. La compétition entre bandes de crackers devint si féroce que les génériques d’introduction se parèrent de plus en plus d’ornementations diverses et s’éloigna des logiciels crackés pour devenir des démos autonomes (Tasajärvi 2004).
Video 9. Montage of intros by Commodore 64 software cracking groups.
Les membres de cette demoscene émergente, provenant essentiellement de Scandinavie ou d’Europe de l’est, adoptèrent des séquenceurs tels que Soundtracker pour composer les musiques de fond de leurs productions (Tasajärvi 2004). Ces trackers étaient distribués gratuitement et furent souvent utilisés comme logiciels musicaux parmi les communautés de fans. Par contraste avec le populaire format MIDI, qui ne contenaient que la notation musicale, les formats de fichiers pour la distribution de musiques séquencées contenaient à la fois les motifs des séquences et les échantillons sonores utilisés dans la composition. De plus, contrairement aux fichiers audio compressés comme le MP3, quand un fichier de musique séquencée est ouvert dans un séquenceur compatible, les motifs et les instruments sont interprétés comme données clairement lisibles et éditables. Cette architecture permit un type d’apprentissage intégré pour les novices et supprima les barrières entre artistes et fans, tout comme la fonction View Source (Voir la source) du navigateur web NCSA Mosaic contribua à un accroissement rapide des débuts du World Wide Web en exposant le langage de balises des pages web aux futurs éditeurs en ligne.
Dans les années 90, sous l’impulsion de grandes rave-parties en Europe, de compétitions en ligne et de l’explosion des communications internationales via Fidonet et l’Internet, la musique séquencée et les chiptunes s’éloignèrent de plus en plus de leurs origines liées aux bandes-son de jeux électroniques et aux démos. Les musiciens et les groupes sortirent des collections de musique séquencée appelées musicdisks ou musicpacks, augmentées de graphisme originaux, de textes explicatifs, et de players customisés. En 1997, un concours de trackers sponsorisé par Hornet Archive compta plus de 300 inscriptions, et l’année suivante, on estima à plus de 500 le nombre de participants (Snowman 1998). Peu après, le dynamisme de la communauté de la musique séquencée pris fin mystérieusement, malgré l’accroissement continu de la demoscene. Necros, l’un des musiciens les plus connus dans le domaine des trackers, émit publiquement l’hypothèse d’une disparition du tracking comme le résultat d’une « lente fusion avec la scène musicale de l’Internet », bien qu’il eût beaucoup de mal à définir ce que cela pouvait bien signifier, sinon qu’il sentait le sens d’une communauté comme étant « réduite à la somme de ses technologies » (Necros 1998).
De 1988 à 1998, les chiptunes vécurent deux exodes importants. D’abord, l’introduction de trackers basés sur des échantillons sonores a réduit l’utilisation des puces audio pour la musique. Bien que les programmeurs de SID étaient capables de créer un vaste éventail de sons à partir de leur puce, ils se sentaient toujours limités par les contraintes de leur plateforme hardware. Cependant, les compositeurs de chiptunes utilisant un tracker sélectionnaient des échantillons de sons ressemblant à ceux de la SID pour des raisons de choix esthétiques plutôt que par contrainte technique. Pendant que la demoscene affirmait son indépendance, les chiptunes quittaient en masse la sphère du jeu pour établir finalement leur propre format autonome : le musicdisk téléchargeable.
4. micromusic.net et le musicien Game Boy
En 1998, la même année où la scène européenne des trackers connut son sommet puis finalement disparut, des netlabels naissant dédiés aux chiptunes commencèrent à prendre forme autour de la notion de musicdisk. micromusic.net, l’un des plus grands netlabels, se décrivit lui-même comme « une communauté sonore underground, une plateforme dédiée à un mode de vie digital » (micromusic.net 2008). Les utilisateurs furent encouragés à uploader leurs propres créations, à les promouvoir, à commenter et à interagir tel un groupe global de créateurs, mais à échelle humaine. La structure des sites se réfèra explicitement aux formes variées de production de la scène chiptunes : musique, vêtements et hardware étaient disponibles dans le « microshop » ; on trouvait des outils logiciels dans la section « microwarez » ; la « microradio » diffusait en continu les créations des utilisateurs : la section « microhype » hébergait des contenus vidéo.
Contrairement au modèle de la communauté de micromusic.net, des netlabels plus récents tels que 8bitpeoples et Jahtari jouèrent un rôle plus traditionnel, comme créateurs de tendances et plateforme de distribution pour la musique chiptunes ou assimilées. La mission de 8bitpeoples était de fournir à la fois des copies numériques de musique chiptunes « de qualité », mais aussi de vendre des chiptunes dans les formats pop traditionnels tels que le vinyl et le CD. Jahtari, un netlabel gratuit spécialisé dans ce qu’il appelle le « Digital laptop reggae », explique sa mission esthétique en terme d’innovation au sein d’une forme plus ancienne, « non pas en émulant d’anciens classiques avec de la nouvelle technologie, mais en réalisant avec la musique dub quelque chose qui n’a pas ou qui n’aurait pas pu être réalisé auparavant » (Disrupt 2005). Chacun de ces exemples illustre la fluidité avec laquelle la musique chiptunes pu s’adapter et être incorporée aux autres catégories, pratiques ou esthétiques musicales.
Les outils utilisés par les artistes de ces labels n’étaient plus autant d’avant-garde qu’ils ne le furent pour les programmeurs de SID et les trackers de la demoscene des années 80 ou des débuts 90. Le désir d’innover à partir de vieux thèmes ou la recherche d’une musique de qualité ne suffisent pas à expliquer pourquoi un si grand nombre de ces producteurs choisirent d’utiliser les ordinateurs personnels et les consoles de jeu à partir des années 1980. Le label australien hardcore-techno Bloody Fist Productions explique que ses artistes utilisent des trackers et des ordinateurs Amiga parce que ces machines offrent « des méthodes incroyablement bon marché pour faire du bruit » (Newlands 1997).
Bien que Baseck, un producteur basé à Los Angeles, note également le coût comme une influence sur son choix d’utiliser une console Nintendo Game Boy pour ses productions et ses performances, le coût seul n’est clairement pas le facteur déterminant (Ohanesian 2008). Des logiciels de production musicale généralement piratés, comme Ableton Live (Ableton) et FL Studio (Image-Line Software) sont de loin inférieurs à la Game Boy en termes de coûts, de flexibilité, de facilité d’apprentissage et d’utilisation. Les réactions du public aux artistes chiptune révèlent une autre raison importante à l’utilisation de consoles de jeux. Les artistes contemporains chiptune exploitent leur équipement de jeu repensé dans une tentative rituelle faisant allusion aux liens personnels noués par de nombreux jeunes envers ces objets. Ces artistes, dont les compositions peuvent émaner d’autres genres, se distinguent cependant des performeurs utilisant un ordinateur portable ou un échantillonneur, en tirant parti de technologies familières apparemment enfantines, de manière plutôt évidente et surprenante. Même Sonic Death Rabbit, groupe issu d’une collaboration entre Baseck et la musicienne metal Cristina Fuentes, utilise la Game Boy aux côtés de guitares-jouets et de platines. Leur spectacle ne concerne pas seulement l’utilisation de la technologie, mais aussi son utilisation en tant que performance, reposant sur une complicité implicite avec un public comprenant parfaitement l’importance culturelle de ces objets et de ces attitudes. (Sonic Death Rabbit 2006).
Video 10. Sonic Death Rabbit, live performance.
La Game Boy bénéficie d’une dimension particulière parmi les artistes contemporains chiptune (Blip Festival 2008). La console de jeu portable est peut-être la plateforme de jeu la plus courante dans le monde, avec des ventes mondiales de plus de 200 millions de systèmes compatibles avec la Game Boy (Nintendo 2008), mais cette popularité ne suffit pourtant pas à expliquer sa position dominante. Les séquenceurs ont permis à une plus grande diversité de musiciens de composer des chiptunes indépendamment de tout développement de jeux, de toute programmation ou piratage. Le prix de cette indépendance a été un rapprochement avec l’équipement audio des compositeurs de SID music. Bien que les ordinateurs personnels et les consoles de jeux cessèrent d’être livrés avec des synthétiseurs au milieu des années 90, la Game Boy a continué pour sa part à inclure son architecture polyphonique de synthèse sonore dans ses nombreuses versions et ré-éditions. Ainsi, la Game Boy n’est pas seulement la plateforme de jeu la plus largement répandue dans le monde, mais peut-être aussi le synthétiseur le plus largement utilisé.
La Game Boy, tout comme la NES, est conçue comme un système de lecture seule. Durant les années 90 cependant, des enthousiastes utilisant des cartouches réinscriptibles spéciales commencèrent à trafiquer la plateforme Game Boy et documentèrent leurs découvertes en ligne (Morgan 2008). L’une des premières applications à être largement distribuées pour cette plateforme nouvellement ouverte fût Nanoloop, une application de type synthétiseur et séquenceur sortie en 1998 (Wittchow 2008). Nanoloop fut rapidement suivie par une seconde application musicale appelée Little Sound DJ (LSDJ), qui continue encore aujourd’hui à être utilisée par les artistes chiptunes.
Figure 4. Cartridge for the Nintendo Game Boy with space for custom erasable programmable read-only memory (EPROM) chip (Handheld Museum, 2008).
Little Sound DJ est un logiciel qui incorpore l’histoire des chiptunes. Il offre aux compositeurs un accès direct à la polyphonie à quatre voix caractéristique de l’architecture sonore de la Game Boy semblable aux modules de Hubbard, augmenté d’un système de lecture d’échantillons sonores et d’un séquenceur basé sur les rouleaux de musique hérité du Soundtracker de Obarski. Depuis début 2000, LSDJ offre une compatibilité MIDI aux utilisateurs qui y connectent leur propre interface (Morris 2002). Cette fonctionnalité met en évidence la plus grande distinction à faire entre la communauté Game Boy/netlabel d’artistes chiptune et ceux de l’ère tracker/musicdisk. Bien que les séquenceurs aient permis aux non-programmeurs de créer de la musique avec leur ordinateur, cette pratique resta largement isolée des technologies habituelles rencontrées dans les studios d’enregistrement. En ajoutant une interface MIDI à une console de jeu, un outil comme LSDJ connecte les chiptunes au monde de la musique électronique traditionnelle. Les musiciens non-programmeurs peuvent non seulement créer de la musique avec leur console de jeu, mais ont désormais la possibilité d’intégrer leur console à leur pratique habituelle en studio*.
* Le développement de la SidStation compatible MIDI en 1999 a permis le même type d’intégration pour la puce audio de Bob Yannes (Friedman, 2008).
5. Les groupes de reprises en 8-Bit
L’actuelle confusion autour du terme chiptunes est due en grande partie à la multiplicité des formes dans lesquelles le jeu vidéo apparaît dans la musique populaire : certaines chansons font référence aux jeux, autant dans leurs paroles qu’à travers l’utilisation d’échantillons ou de citations sonores, des groupes interprètent des musiques de jeux vidéo avec des arrangements musicaux différents, des artistes emploient des technologies de productions identiques à celles des jeux eux-mêmes… Les barrières entre ces différentes pratiques sont poreuses et complexes, en raison du manque d’information claire ou par choix des artistes eux-mêmes.
En 1982, les musiciens pop Jerry Buckner et Gary Garcia connurent un hit avec Pac-Man Fever (1981). Aucune indication ne mentionnait le fait que le duo s’était approprié les sonorités du Pac-Man de Namco. Les échantillons du jeu de Namco étaient seulement insérés comme bruitages d’accompagnement à une chanson rock conventionnelle basée sur des guitares, décrivant les jeux vidéo comme une nouvelle dépendance. En contraste au traitement dédaigneux réservé au jeu par Buckner et Garcia, considéré ici comme une marotte ridicule, le thème de Pac-Man réapparut dix ans après sa sortie aux USA dans un titre de Richard D. James, sous le pseudonyme de Power-Pill. Appelé simplement Pac-Man (1992), le morceau de Richard D. James utilisait les effets sonores et échantillonnait les éléments de la bande-son du jeu comme matière essentielle à la composition musicale.
Video 11. Power-Pill, « Pac-Man » (1992).
À la fin des années 90, des groupes tels que Minibosses, Press Play On Tape, et The Advantage commencèrent à enregistrer des interprétations en rock progressif de thèmes de jeux de la console NES ou du Commodore 64. Alors que le titre Pac-Man de Richard D. James se référaient matériellement au jeu d’arcade du même nom en échantillonnant ses effets sonores, ces groupes s’appropriaient seulement les compositions des jeux auxquels ils faisaient référence. Les caractéristiques techniques et le son produit par les chiptunes étaient séparés des compositions musicales proprement dites. Contrairement à l’artiste contemporain dont la performance incluait physiquement un objet de la game culture, les groupes de reprises se présentaient sur scène comme des groupes rock traditionnels, avec guitares électriques et batteries acoustiques (Advantage 2006). En utilisant une instrumentation conventionnelle, ces groupes de reprises offraient à leurs fans de musique rock l’opportunité de découvrir la musique de jeux sur ordinateur dans un cadre esthétique familier. Malheureusement, cette transposition sacrifie autant les structures en boucles des chiptunes que ses riches caractéristiques sonores. Même si ces groupes sont là pour célébrer le travail des premiers musiciens chiptunes dans le domaine du jeu, cette reconnaissance ne contient pour autant aucune réelle innovation musicale.
Video 12. The Minibosses performing music from Super Mario Bros 2 at the 2006 Penny Arcade Gaming Expo.
8-Bit Weapon est un groupe de 3 personnes jouant un type de pop électronique qu’il décrivent eux-mêmes comme du « rock 8-bit ». Comme Sonic Death Rabbit, leurs performances live se réfèrent à l’importance visuelle des hardwares des années 80 – ordinateurs personnels, jeux électroniques, calculettes et consoles de jeu – en combinaison avec une instrumentation pop plus conventionnelle à base de claviers et de batterie acoustique (8-Bit Weapon 2001). Dans un curieux élan de revival culturel, Nokia a récemment demandé au groupe de sonoriser un jeu sur console appelé Reset Generation. L’accroche-marketing du jeu proclamait « Bienvenue dans l’ère de jeu de votre jeunesse » et contenait de nombreuses références aux jeux sur ordinateurs populaires au milieu des années 80 (Nokia 2008). Comme dans Reset Generation, 8-Bit Weapon plonge les auditeurs dans un contexte de jeu très « années 80 », ayant ou même n’ayant jamais existé. Tandis que les hackers de Game Boy et 8-Bit Weapon modifient les plateformes des eighties, on peut dire que le format rock de 8-Bit Weapon développe un sens du kitsch rétro alors que les artistes chiptunes semble se percevoir eux-mêmes comme travaillant sur un médium bien vivant.
Video 13. Advertisement for Nokia’s Reset Generation (2008); music by 8 Bit Weapon.
Les morceaux qui interprètent ou s’approprient les chiptunes ne s’adressent pas seulement aux publics possédant une expérience du domaine du jeu. En 1999, Kernkraft 400 de Zombie Nation devint un hit dans les clubs d’Europe, puis finalement aux États-Unis (Zombie Nation 2000). La chanson utilise une ligne mélodique de Stardust, une des 21 boucles de David Whittaker conçues pour Lazy Jones (Whittaker 1984). Plutôt que d’échantillonner le son à partir du jeu, il est probable que Zombie Nation ait utilisé un module MIDI contenant une puce SID pour rejouer la courte phrase mélodique (Zombie Nation 2008). La large popularité de Kernkraft 400 tend à démontrer qu’un tel succès n’était pas dû à la reconnaissance d’une référence à un jeu obscur ou à un effet de composition, mais bien à la force du chiptune original de David Whittaker.
Video 14. Zombie Nation, « Kernkraft 400 (Original Mix) » (2000).
6. Une boucle sans fin
La définition la plus stricte du chiptune s’applique à une composition exclusivement destinée à être exécutée par une puce audio. La culture et l’esthétique chiptune qui a émergé de la très prolifique période SID des années 1980 a pourtant largement dépassé cette définition. En s’éloignant d’abord du domaine de la synthèse du son puis ensuite du domaine du jeu, la scène des trackers a démontré la capacité du chiptune à exister en tant que tel. La génération Game Boy a ensuite permit au chiptune de réinvestir les puces audio en les augmentant au passage des avantages d’une interface de séquenceur et de la liberté offerte par l’échantillonnage numérique. Enfin, les exemples actuels de l’esthétique retro 8-bit démontrent la persistance et la facilité d’accès au chiptune, tour à tour dénigré puis exploité au sein des paradigmes du rock et de la dance music.
Les artistes de la génération Game Boy seront peut-être les derniers à ressentir l’aspect nostalgique des chiptunes. Leurs fans vont-ils simplement vieillir avec eux, ou les arpèges gazouillant et autres « square waves » propres à l’esprit créatif de la chiptune music réussiront-ils à captiver de manière similaire un jeune public biberonné à la Playstation et à la Xbox ?
Traduction : Marc Wathieu, 2010.
Ouvrages cités.
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Liens.
L’article original de Kevin Driscoll et Joshua Diaz. L’exposition PlayList à iMAL, Bruxelles. L’exposition initiale à Laboral. Le catalogue de l’expo à Laboral à télécharger (PDF). L’article de Yves Bernard sur l’exposition à Laboral. Les photos de Domenico Quaranta (curateur) sur Flickr. Les photos de Régine Debatty sur Flickr. L’article de Régine Debatty sur we-make-money-not-art. Le film « 8 Bit ».
Mots-clés.
BBS ; Cracking ; Demo scene ; DJ ; Game Boy ; Gaming ; Hacking ; Music ; Participatory culture ; Personal computing ; Piracy ; Programming ; Rave ; Remix ; Sampling ; Sound synthesis ; Subculture ; Teenagers ; Tracking ; Video game ; VJ ; Youth.
mai 23rd, 2010 à 20:15
Hello,
J’avais lu l’original il y a quelque mois et j’avoue que votre traduction est très bien. Un grand bravo pour ce travail remarquable ! Pour être honnête, j’ai lu quelques passages ; ce qui représente un peu plus de la moitié.
Respect! Merci.
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