Marcel Berlanger : Tore
Marcel Berlanger présente son installation « Tore » du 05 au 26 mai 2007 au Wiels, dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts.
Moholy-Nagy, l’un des chefs de file du Bauhaus en Allemagne, déclare dans «Vision in Motion» que «la plupart des oeuvres visuelles du futur vont incomber au “peintre de lumière“. Il poursuit : “Il aura le savoir scientifique du physicien et le savoir-faire technologique de l’ingénieur, couplés à son imagination, à son intuition créatrice et à l’intensité de ses émotions“.
Citation tirée du catalogue de l’exposition «Son et lumières» au Centre Pompidou
(ouvrage collectif, Paris, 2004).
L’avènement de machines ou de prothèses de toutes sortes n’en finit pas d’augmenter et de modifier notre perception de la réalité, ouvrant aux artistes de nouvelles perspectives de recherche dans le domaine des outils (conceptuels et techniques), des méthodes et des processus. Ainsi, le vif dialogue entre les pratiques artistiques actuelles et l’histoire de l’art (récente ou ancienne) autour des questions liées à l’application de technologies innovantes oscille nerveusement entre tradition et modernité, anticipation et inertie. Pour autant, la révolution numérique et le changement radical des sytèmes de figuration produisent des effets nuancés et rétroactifs : dans le contexte des nouveaux médias, on peut par exemple observer une réapparition des stratégies dadaïstes (collage, ready-made, photomontage, activisme, performance) ou bauhaussienne (dialogue avec l’industrie et la science, assimilation de la technologie, ingénierie de l’art). Réciproquement, les pratiques largement antérieures à l’ère numérique (musique, sculpture, peinture, photographie), se repositionnent et expérimentent, sans perdre leur centre de gravité.
À ce titre, «Tore», l’installation du peintre Marcel Berlanger, présentée au Wiels dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts, est particulièrement intéressante. En parallèle à «Diaclase», très belle exposition personnelle à la galerie Rodolphe Janssen, Marcel Berlanger a déployé son travail pictural dans le cadre haut-perché et bétonné d’un Wiels en phase finale de rénovation.
Après plusieurs volées d’escaliers, nous pénétrons dans une première salle, sorte de sas d’entrée, où une première pièce représente un tore monumental, donnant son titre à l’installation. Comme les six oeuvres qui suivront, ce tore géant est suspendu au plafond, et peint sur un large support de fibre de verre translucide, rigidifié à la résine liquide.
Derrière un rideau d’épais feutre noir, la seconde et principale salle révèle un ensemble de six peintures alignées et rétro-éclairées par un impressionnant dispositif lumineux conçu par Julie Petit-Etienne : un cycle (en boucle) variant lentement d’une lueur faible vers un plein-feu culminant. Une estrade invite le spectateur à s’asseoir pour observer la révélation progressive des images. Frôlant le seuil de visibilité pour ensuite éclater dans une clarté chaude et artificielle, cette lente séquence révèle peu à peu la trame de la fibre de verre, puis les strates de couleurs sombres, et enfin les icônes saturées de lumière dans un paroxysme quasi-sonore, intensifiant leur réalisme : un paysage de Mars, un tore, une chouette, un chrysanthème, un autre tore et un portrait perforé de l’actrice belge Cécile de France.
Deux choses frappent d’emblée. D’abord, les œuvres elles-mêmes, intrinsèquement spectaculaires, semblent conçues comme des démonstrations optiques, alliant ainsi la science, souvent convoquée dans le travail de l’artiste (biologie, imagerie scientifique, mathématiques, géologie) aux enjeux de la représentation (maîtrise technique, dimension sculpturale et symbolique des sujets). Ensuite, la scénographie, rythmée par cette phase lumineuse modulant le temps et l’espace, sorte d’horloge interne mesurant une durée propre à l’installation. Isolés du monde, nous assistons à un étrange ballet iconographique, face à des images se comportant comme des souvenirs, apparaissant, disparaissant, fantômatiques.
Ce dispositif théâtralisé, ritualisé, forçant le spectateur à adopter une attitude contemplative, peut agacer. En effet, les sujets de cette contemplation évoquant déjà par nature la fascination (paysage lointain de Mars, parures complexes de la chouette et du chrysanthème, propriétés spatiales du tore, trame vibratoire des supports, écrans éclairés) ou le charisme (Cécile de France en idole), ce procédé de «double amplification» n’est pas léger. Sans ambiguïté, il puise ses ressources dans un vocabulaire emphatique propre aux médias de masse et à la «société du spectacle». Cependant, la substance de «Tore» semble ailleurs.
Avec tout le respect que j’ai pour le talent de Cécile de France (même si elle est ici criblée de trous, cela n’en fait tout de même pas une martyre), ce sont essentiellement les cinq autres sujets qui confèrent à l’installation une dimension métaphysique, dans laquelle, justement, la contemplation évoquée par les sujets fascinants puisés dans la nature et les sciences invitent à une méditation. Et ce que l’on prenait pour une mise en scène insistante se métamorphose en célébration spirituelle. Le noir et blanc (ou plutôt noir et transparent) souligne avec virtuosité la rigueur et la précision des structures naturelles (tapis de pierre, textures striées des pétales et des plumes) irisées par le cycle lumineux, suscitant l’admiration. À ce stade, libre à chacun d’éviter l’éventuel dérapage vers la dévotion ou la piété. Dans un silence finalement solennel, le regard part dans les images éclairées, en quête de transcendance.
Un silence empreint du bruissement de la trame picturale, et du bourdonnement de la lumière. Ponctué surtout par l’intervention évènementielle (le 10 mai uniquement) de François Deppe, violoncelliste de l’ensemble Ictus, interprétant «Pure», une composition du jeune et talentueux Cédric Dambrain. Une performance musicale captivante, intégrée, exploitant les allusions technoïdes de l’installation. Sonorités expansives, inconfortables, transmises par une excellente sonorisation, très claire et relevée par un efficace caisson infra-basse.
Pour l’exécution de cette pièce, mélangeant la captation et l’amplification du violoncelle à des sons pré-enregistrés et filtrés (déclenchés au pied par François Deppe), Cédric Dambrain a également recours à Max-MSP, un logiciel majeur de création sonore (mais aussi de gestion de l’interactivité, du protocole MIDI, et extensible à la vidéo) très prisé en musique contemporaine et dans le domaine des installations interactives. L’alliance d’une source acoustique et d’un traitement sonore high-tech plutôt tendu fait immanquablement écho à l’association de la peinture de Marcel Berlanger et du traitement de la lumière par Julie Petit-Etienne, lui aussi high-tech. La courbe d’intensité lumineuse mise en boucle est effet gérée par le logiciel Proscenium (un système de contrôle d’éclairages via le protocole DMX, surtout utilisé dans le domaine du spectacle vivant).
Forte de ces collaborations, l’installation «Tore» est une intéressante et positive expérience, hybridant habilement les genres. Cependant, la peinture a-t-elle besoin de son ? A-t-elle besoin de lumière ? A-t-elle besoin d’une scènographie ? Répondant à l’invitation d’un Kunstenfestivaldesarts fusionnant les arts de la scène et les pratiques artistiques contemporaines, Marcel Berlanger démontre en tout cas l’intérêt d’une telle mise à l’épreuve de la peinture.
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Liens :
mai 28th, 2007 à 23:16
[…] Liens: – l’article de Marc Wathieu sur son blog. – la fiche complète avec bio, photos et video sur kunstenfestivaldesarts […]